Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/283

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lui paraissant un pur mirage, et qui désolaient la rapacité de la paysanne déjà cruellement mise à l’épreuve, d’autant que Valmajour, très demandé dans les salons, le premier hiver, ne mettait plus les pieds au faubourg de Saint-Germeïn

« Tant pis !… Je travaillerai… je ferai des ménages, zou ! »

L’énergique petite coiffe d’Arles s’agitait dans la grande bâtisse neuve, montait, descendait l’escalier, colportant d’étage en étage son histoire avé le ministre, s’exaltait, piaillait, bondissait, et tout à coup mystérieuse « Pouis il y a le portrait… » Le regard furtif et louche comme ces marchandes de photographies dans les passages, à qui les vieux libertins demandent des maillots, elle montrait la chose.

« Une jolie fille, au moins !… Et vous avez lu ce qu’il y a d’écrit en bas… »

La scène se passait dans des ménages interlopes, chez des rouleuses du skating ou du Paillasson qu’elle appelait pompeusement « Madame Malvina… Madame Héloïse… », très impressionnée par leurs robes de velours, leurs chemises bordées d’engrêlures à rubans, l’outillage de leur commerce, sans s’inquiéter autrement de ce que c’était que ce commerce. Et le portrait de la chère créature, si distinguée, si délicate, passait par ces souillures curieuses et critiquantes ; on la détaillait, on lisait en riant le naïf aveu, jusqu’au moment où la Provençale, reprenant son bien, serrait dessus la coulisse du sac aux écus, d’un geste furieux d’étranglement :