Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/287

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avait découvert dans le quartier Saint-Denis un grand magasin de comestibles où il était entré, amorcé par l’écriteau et par les tentations d’une devanture exotique, aux fruits colorés, aux papiers argentés et gaufrés, éclatant dans le brouillard d’une rue populeuse. L’endroit, dont il était devenu le commensal et l’ami, bien connu des Méridionaux passés Parisiens, s’intitulait :

Aux produits du Midi.

Et jamais étiquette plus véridique. Là tout était produit du Midi, depuis les patrons, M. et madame Mèfre, deux produits du Midi Gras, avec le nez busqué de Roumestan, les yeux flamboyants, l’accent, les locutions, l’accueil démonstratif de la Provence, jusqu’à leurs garçons de boutique, familiers, tutoyeurs, ne se gênant pas pour crier vers le comptoir en grasseyant : « Dis donc, Mèfre… Où tu as mis le saucisson ? » Jusqu’aux petits Mèfre, geignards et malpropres, menacés à chaque instant d’être éventrés, scalpés, mis en bouillie, trempant tout de même leurs doigts dans tous les barils ouverts ; jusqu’aux acheteurs gesticulant, bavardant pendant des heures, pour l’acquisition d’une barquette de deux sous, ou s’installant en rond sur des chaises a discuter les qualités du saucisson à l’ail et du saucisson au poivre, les pas moins, au moins, allons différemment, tout le vocabulaire de la tante Portal échangé bruyamment, tandis qu’un « cher frère » en robe noire reteinte, ami de la maison, marchandait du poisson salé, et que les mouches, une quantité