Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’aulx et d’oignons, les caroubes sèches, les andouilles ficelées, des grappes de maïs, un ruissellement de couleurs chaudes, tout l’été, tout le soleil méridional, en boîtes, en sacs, en jarres, rayonnant jusque sur le trottoir à travers la buée des vitres.

Le vieux allait là-dedans, la narine allumée, frétillant, très excité. Lui qui, chez ses enfants, rechignait au moindre ouvrage et pour un bouton remis à son gilet s’essuyait le front pendant des heures, se vantant d’avoir fait « un travail de César », était toujours prêt ici à donner un coup de main, à mettre l’habit bas pour clouer, déballer les caisses, picorant de-ci de-là un berlingot, une olive, égayant le travail par ses singeries et ses histoires ; et même, une fois la semaine, le jour de la brandade, il veillait très tard au magasin pour aider à faire les envois.

Ce plat méridional entre tous, la brandade de morue, ne se trouve guère qu’aux Produits du Midi ; mais la vraie, blanche, pilée fin, crémeuse, une pointe d’aïet, telle qu’on la fabrique à Nîmes, d’où les Mèfre la font venir. Elle arrive le jeudi soir à sept heures par le « Rapide » et se distribue le vendredi matin dans Paris à tous les bons clients inscrits au grand livre de la maison. C’est sur ce journal de commerce aux pages froissées, sentant les épices et taché d’huile, qu’est écrite l’histoire de la conquête de Paris par les méridionaux, que s’alignent en file les hautes fortunes, situations politiques, industrielles, noms célèbres d’avocats, députés, ministres, et entre tous, celui de Numa