Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/324

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Si… si… Je veux que vous lui disiez… » Sans ajouter une parole, M. Le Quesnoy sortit, et son pas de tous les soirs, sonore, régulier, monta des arcades désertes dans la solennité du grand salon.

« Viens là… » fit la mère à sa fille d’un geste tendre… Plus près, encore plus près… Elle n’oserait jamais tout haut… Et même, si rapprochées, cœur contre cœur, elle hésitait encore : « Écoute, c’est lui qui le veut… Il veut que je te dise que ta destinée est celle de toutes les femmes, et que ta mère n’y a pas échappé. »

Rosalie s’épouvantait de cette confidence qu’elle devinait aux premiers mots, tandis qu’une chère vieille voix brisée de larmes articulait à peine une triste, bien triste histoire de tous points semblable à la sienne, l’adultère du mari dès les premiers temps du ménage, comme si la devise de ces pauvres êtres accouplés étant « trompe-moi ou je te trompe », l’homme s’empressait de commencer pour garder son rang supérieur.

— Oh ! assez, assez, maman, tu me fais mal…

Son père qu’elle admirait tant, qu’elle plaçait au-dessus de tout autre, le magistrat intègre et ferme !… Mais qu’était-ce donc que les hommes ? Au nord, au midi, tous pareils, traîtres et parjures… Elle qui n’avait pas pleuré pour la trahison du mari, sentit un flot de larmes chaudes à cette humiliation du père… Et l’on comptait là-dessus pour la fléchir !… Non, cent fois non, elle ne pardonnerait pas. Ah ! c’était cela, le mariage. Eh bien, honte et mépris sur le mariage ! Qu’importaient la peur du scandale et les convenances du monde,