Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/349

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dans les Alpilles, la cérémonie aurait probablement passé inaperçue. En voyant le carrosse de tante Portal s’arrêter devant l’église, les vieilles revendeuses donnèrent l’éveil aux marchandes d’aïets qui se promènent un peu partout, d’un bout à l’autre du Cours, les bras chargés de leurs chapelets luisants. Les marchandes d’aïets avertirent la poissonnerie, et bientôt la petite rue qui mène à l’église déversa sur la place toute la rumeur, toute l’agitation du marché. On se pressait autour de Ménicle, droit à son siège, en grand deuil, le crêpe au bras et au chapeau, et répondant aux interrogations par un jeu muet et indifférent des épaules. Malgré tout, on s’obstinait à attendre, et sous les bandes de calicot en travers de la rue marchande, on s’empilait, on s’étouffait, les plus hardis montés sur des bornes, tous les yeux fixés à la grand’porte qui s’ouvrit enfin.

Ce fut un « Ah ! » de feu d’artifice, triomphant, modulé, puis arrêté net par la vue d’un grand vieux, vêtu de noir, bien navré, bien lugubre pour un parrain, donnant le bras à madame Portal très fière d’avoir servi de commère au premier président, leurs deux noms accolés sur le registre paroissial, mais assombrie par son deuil récent et les tristes impressions qu’elle venait de retrouver dans cette église. Il y eut une déception de la foule à l’aspect de ce couple sévère que suivait, tout en noir aussi et ganté, le grand homme d’Aps transi par le désert et le froid de ce baptême entre quatre cierges, sans autre musique que les vagissements du petit à qui le latin du sacrement et l’eau lustrale