Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/95

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membre du Conseil général, ils auraient cru à une farce, à une galéjade, allons ! Mais avec celui-là, l’affaire devenait sérieuse… Deux cents francs par jour !… foutré ! … Le musicien était tout prêt, lui. La sœur, plus prudente, aurait voulu que Roumestan leur signât un papier ; et, posément, les yeux baissés, de peur que leur éclat de lucre la trahît, elle discutait d’une voix hypocrite. C’est que Valmajour était bien nécessaire à la maison, Pécaïré. Il menait le bien, labourait, taillait la vigne, le père n’ayant plus la force. Comment faire s’il partait ?… Lui-même, tout seul à Paris, il se languirait pour sûr. Et son argent, ses deux cents francs par jour, qu’est-ce qu’il en ferait dans cette grande villasse ?… Sa voix devenait dure en parlant de cet argent dont elle n’aurait pas la garde, qu’elle ne pourrait pas enfermer au plus profond de ses tiroirs.

— Eh bien ! alors, dit Roumestan, venez à Paris avec lui.

— Et la maison ?

— Louez-la, vendez-la… Vous en rachèterez une plus belle en revenant.

Il s’arrêta sur un regard inquiet d’Hortense, et, comme pris d’un remords de troubler le repos de ces braves gens : « Après tout, il n’y a pas que l’argent dans la vie… Vous êtes heureux comme vous êtes… »

Audiberte l’interrompit vivement : « Oh ! heureux… L’existence est bien pénible, allez ! ce n’est plus comme dans les temps. » Elle recommençait à geindre sur les vignes, la garance, le vermillon, les