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ROSE ET NINETTE

de l’énigme féminine subitement trahie par la raillerie involontaire, ce qui reste de l’enfant mutine chez la mieux équilibrée.

Elle fixa sur lui ses larges yeux bleus au blanc candide et nacré, d’une pureté saisissante dans les beaux traits décidés et pleins d’une femme de bientôt trente ans.

« Je ris, dit-elle, parce qu’il est dix heures, que ce soir encore vous ne sortirez pas, et que, pour Régis de Fagan, voilà une singulière existence !  »

Fagan sourit à son tour :

« Qu’imaginez-vous donc de la vie des artistes ?… Vous les croyez tous mondains à outrance, orgiaques et noctambules ? »

Pauline Hulin hésita un peu, puis :

« Je pense à vos coulisses si remplies de pièges, de tentations… Mariée à l’un de vous, j’aurais eu très peur.

— Peur ?… et de quoi ? des femmes de théâtre ? Ah ! bien… »

Et l’écrivain dramatique, l’homme d’expérience qu’était de Fagan, se mit à analyser le côté factice et fabriqué de ces bizarres personnes, aux phrases toutes faites, aux sentiments convenus, prises par le ronron des pièces qu’elles ont jouées, en gardant l’intonation dans la vie comme des poupées leur mécanisme parlant… Les femmes de théâtre ! mais si par hasard il leur vient un élan de passion vraie, un « je