Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/161

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ai encore !… J’ai eu si peur…

Et elle l’enlaça debout, longuement, lèvres contre lèvres, s’assurant bien au tressaillement du baiser qu’il était encore tout à elle. Mais on allait et venait dans le couloir, il fallait se méfier. Quand on eut apporté la lampe, elle s’assit à sa place habituelle, un petit ouvrage aux doigts ; lui, tout près comme en visite…

— Suis-je changée, hein ?… Est-ce assez peu moi ?…

Elle souriait en montrant son crochet manié avec une gaucherie de petite fille. Toujours elle avait détesté ces travaux d’aiguille ; un livre, son piano, sa cigarette, ou les manches retroussées pour la confection d’un petit plat, elle ne s’occupait jamais autrement. Mais ici, que faire ? Le piano du salon, elle ne pouvait y songer de tout le jour, obligée de se tenir au bureau… Des romans ? Elle savait bien d’autres histoires que celles qu’ils racontaient. À défaut de la cigarette prohibée, elle avait pris cette dentelle qui lui occupait les doigts et la laissait libre de penser, comprenant à cette heure le goût des femmes pour ces menus travaux qu’elle méprisait jadis.