Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ordure… Sapho, Sapho… Dire que j’ai vécu un an avec ça !… » Il répétait le nom avec rage, se rappelant l’avoir vu sur les petits journaux parmi d’autres sobriquets de filles, dans le grotesque Almanach-Gotha de la galanterie : Sapho, Cora, Caro, Phryné, Jeanne de Poitiers, le Phoque…

Et avec les cinq lettres de son nom abominable, toute la vie de cette femme lui passait en fuite d’égout sous les yeux… L’atelier de Caoudal, les trépignées chez La Gournerie, les factions de nuit devant les bouges ou sur le paillasson du poète… Puis le beau graveur, les faux, la cour d’assises… et le petit bonnet du bagne qui lui allait si bien, et le baiser jeté à son faussaire : « T’ennuie pas, m’ami… » M’ami ! le même nom, la même caresse que pour lui… Quelle honte ! Ah ! il allait joliment te balayer ces saletés-là… Et toujours cette odeur d’héliotrope qui le poursuivait dans un crépuscule du même lilas pâle que la toute petite fleur.

Tout à coup, il s’aperçut qu’il était encore à arpenter le marché comme un pont de bateau. Il reprit sa course, arriva d’une traite