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Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/235

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drissantes, la bonne venait s’accouder sur le piano pour écouter.

Comme elle était prisonnière dans la cuisine, cette malheureuse bonne, c’est Monsieur qui se chargeait du service extérieur. Je le vois encore, tout grelottant dans son habit noir, remonter de la cave avec d’énormes blocs de charbon de terre enveloppés dans un journal. Le papier crève, le charbon roule sur le parquet, et pendant ce temps on continue à chanter au piano : « J’aime entendre la rame, le soir, battre les flots. »

Et cette autre maison, ce cinquième étage fantastique où le carré servait de vestiaire, la rampe de porte-manteau, où les meubles dépareillés s’entassaient tous dans une pièce unique, la seule qu’on pût éclairer et chauffer, ce qui ne l’empêchait pas de rester obscure et glacée malgré tout, à cause de l’abandon, de la misère qu’on sentait rôdant tout autour dans le désert des pièces vides. Pauvres gens ! vers onze heures, ils vous demandaient bien naïvement : « Avez-vous chaud ?… Voulez-vous vous rafraî-