Page:Daudet - Tartarin sur les Alpes, 1901.djvu/81

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novitch… » Pas depuis bien longtemps, en tout cas ; mais il leur allait tout de même par sa rondeur, son air aimable, confiant, si désireux de plaire. Ils lisaient des lettres devant lui, combinaient des plans, des mots de passe pour dérouter la police, tout un côté conspirateur dont s’amusait énormément l’imagination du Tarasconnais ; et, bien qu’opposé par nature aux actes de violence, il ne pouvait parfois s’empêcher de discuter leurs projets homicides, approuvait, critiquait, donnait des conseils dictés par l’expérience d’un grand chef qui a marché sur le sentier de la guerre, habitué au maniement de toutes les armes, aux luttes corps à corps avec les grands fauves.

Un jour même qu’ils parlaient en sa présence de l’assassinat d’un policier poignardé par un nihiliste au théâtre, il leur démontra que le coup avait été mal porté et leur donna une leçon de couteau :

« Comme ceci, vé ! de bas en haut. On ne risque pas de se blesser… »

Et s’animant à sa propre mimique :

« Une supposition, té ! que je tienne votre despote entre quatre-z’yeux, dans une chasse à l’ours. Il est là-bas où vous êtes, Fédor ; moi, ici, près du guéridon, et chacun son couteau de chasse… À nous deux, monseigneur, il faut en découdre… »

Campé au milieu du salon, ramassé sur ses jambes courtes pour mieux bondir, râlant comme un bûcheron ou un geindre, il leur mimait un vrai combat terminé par son cri de triomphe quand il eut enfoncé l’arme jusqu’à la garde, de bas en haut, coquin de sort ! dans les entrailles de son adversaire.

« Voilà comme ça se joue, mes petits ! »

Mais quels remords ensuite, quelles terreurs, lorsque échappé au magnétisme de Sonia et de ses yeux bleus, à la griserie que dégageait ce bouquet de têtes folles, il se trouvait seul, en bonnet de nuit, devant ses réflexions et son verre d’eau sucrée de tous les soirs.

Différemment, de quoi se mêlait-il ? Ce tsar n’était pas son tsar, en définitive, et toutes ces histoires ne le regardaient guère… Voyez-vous qu’un de ces jours il fût coffré, extradé, livré à la justice moscovite… Boufre ! c’est qu’ils ne badinent pas, tous ces cosaques… Et dans l’obscurité de sa cham-