Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/280

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tenant qu’il avait une place, et la certitude de s’acquitter. Pensez ! Quinze cents francs par an. Et puis il écrirait, il m’enverrait des articles. Il projetait bien d’autres bonheurs encore dont il m’entretint le soir de notre adieu : il ferait venir sa mère, la reprendrait avec lui pour une existence heureuse et digne. Les autres l’avaient eue assez longtemps ; à présent c’était son tour. Bien pris dans ses vêtements neufs, les yeux brillants, la figure redevenue intelligente et belle, pendant qu’il me parlait ainsi ce n’était plus le déshérité, le misérable, mais un compagnon, un des miens qui me quittait — et que je ne devais plus voir.

D’Alger, il m’écrivait souvent. « Je rêve, je rêve… Il me semble que je suis au ciel. » Il habitait dans un faubourg, séparé de la mer par un bois d’orangers, tout auprès d’un peintre de mes amis à qui je l’avais recommandé, ainsi qu’à Charles Jourdan qui ne tardait pas à ouvrir sa maison de Montriant, toute grande et hospitalière, au pauvre exilé. Son bureau l’occupait peu, lui laissait le temps de continuer à s’instruire par un