Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/281

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programme de lectures que je lui avais fait. Mais nous nous y étions pris trop tard pour l’arracher à sa misère. Il avait tant souffert, et de si bonne heure : ces blessures d’enfance grandissent avec l’homme. « Je viens d’être bien secoué, me disait Raoul dans une lettre, le 18 juin 1870, mais grâce à un énergique traitement me voici debout, faible, bien faible, il est vrai, et marchant à pas comptés. Pendant les quinze jours de convalescence que je viens de passer sans sortir, mon imagination a fait bien des promenades avec vous dans la forêt, et nous avons bien causé dans le grand atelier. Ma tête était trop faible pour la lecture et je restais à rêvasser, un peu seul et triste, quand le bon géant Charles Jourdan est venu me chercher avec un bourricot et m’a emmené dans une maison qui me serait trop chère si Champrosay n’existait pas. L’air, à Montriant, est si pur, la vue si belle, le silence si profond que je me sens renaître. Et quel charmant garçon, plein de cœur et de jeunesse, que ce Jourdan ! Son cabinet est orné d’une grande bibliothèque, et j’y passe mes journées à feuilleter