Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/306

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des idées, une jolie cervelle ; nous nous convînmes tout de suite. Revenus à peu près des mêmes choses, nos paradoxes faisaient cause commune. Dès ce jour, mon île fut à lui autant qu’à moi ; et comme son bateau, une norvégienne sans quille, roulait affreusement, il prit l’habitude de venir causer musique sur le mien. Son livre : Instruments et musiciens, qui l’a fait nommer professeur au Conservatoire, lui fredonnait déjà dans la tête, et il me le racontait. Nous l’avons vécu ensemble, ce livre.

Je retrouve l’intimité de nos bavardages entre ses lignes comme je voyais papilloter la Seine entre mes roseaux. Pillaut me disait sur son art des choses absolument neuves. Musicien de talent, élevé à la campagne, son oreille affinée a retenu et noté toutes les sonorités de la nature ; il entend comme un paysagiste voit. Pour lui, chaque bruit d’ailes a son frisson particulier. Les bourdonnements confus d’insectes, le cliquetis des feuilles d’automne, le « rigolage » des ruisseaux sur les cailloux, le vent, la pluie, le lointain des voix, des trains en marche,