Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je revois ce matin frileux, la Seine lourde, triste, la campagne belle de silence, les fonds rouillés d’un petit brouillard pénétrant qui nous faisait relever le collet de nos paletots. L’auberge était un peu au-dessus de l’écluse du Coudray, un ancien relais de coche où les messieurs de Corbeil viennent faire la fête le dimanche, mais qui, dans la mauvaise saison, n’est fréquentée que par les gens de l’écluse, les équipes des chalands et des remorqueurs. En ce moment, le pot-au-feu fumait pour le passage de la chaîne. Dieu ! la bonne bouffée de chaud, dès en entrant. « Et avec le bœuf, messieurs ?… Ça vous irait-il, une tanche à la casserole ? » Elle était exquise, cette tanche servie sur un gros plat de terre, dans un petit salon dont le papier avait un bon air de goguette bourgeoise. Le repas fini, la pipe allumée, on se mit à parler de Mozart. C’était bien une causerie d’automne. Dehors, sur la terrasse de l’auberge, je voyais, à travers les tonnelles défeuillées, une balançoire peinte en vert, un jeu de tonneau, les disques d’un tir à l’arbalète, tout cela grelottant au vent froid