Page:Daudet - Un nouveau et puissant romancier Marcel Proust, paru dans L'Action française, 12-12-1919.djvu/4

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les masques et les grimaces. Il feuillette son prochain, comme l’érudit feuillette un livre, en tombant juste aux bons endroits. C’est un jeu de flânerie et de sagacité, où s’ouvrent tout à coup, sur vous, sur nous, sur eux, des perspectives étonnantes, et telles qu’on en découvre dans nos meilleurs moralistes et annalistes du cœur humain : un Saint-Évremond, un La Bruyère, un La Rochefoucauld. Je ne ferai aucune citation ; il faudrait tout citer, et je veux vous laisser le plaisir savoureux de la découverte. Qu’il me suffise de vous dire qu’au milieu d’occupations plutôt variées, j’ai déjà trouvé le moyen de lire deux fois ces 440 pages. On regrette, en fermant le livre, qu’il n’y en ait pas 880. C’est un jaillissement perpétuel de trouvailles, sous la grande et salubre maîtrise du bon sens.

« À la recherche du temps perdu »… dit Marcel Proust. Ce n’est pas qu’une figure spirituelle. « À la recherche de l’équilibre » serait plus exact, de cet équilibre entre le rire et les larmes, l’ironie et l’enthousiasme, la sensibilité et l’indifférence heureuse, le rêve et l’action, vers lequel tendent tous les bipèdes doués de raison. Un de nos collaborateurs prononçait hier, à propos de Marcel Proust, le nom de Meredith. C’est fort exact. On pourrait prononcer aussi celui de Sterne dans Tristram Shandy et