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tranquillement à sa table et partager, gaiement avec elle, le repas. Mais l’hiver, chasseur et trappeur infatigable, il s’enfonçait dans la forêt avec les sauvages Abénakis, ne revenant souvent qu’au printemps avec une ample provision de fourrures, dont il trouvait toujours chez M. St.-Aubin un prompt et avantageux débit. Malgré ses défauts, Jean Renousse était loin d’être détesté, par les braves gens de la colonie ; car, à plusieurs d’entr’eux, il avait rendu d’importants services. Souvent, lorsqu’une forte brise surprenait, au large, quelque berge attardée, qu’une femme éplorée, que des enfants en pleurs venaient demander des nouvelles d’un père, d’un mari ou d’un frère, à ceux qui arrivaient, que les pêcheurs hochaient tristement la tête, que les voisines essuyaient des larmes, qu’elles ne pouvaient dissimuler, et leur adressaient des consolations, on voyait Jean Renousse s’élancer dans une berge, et, malgré le vent et la tempête, s’exposer seul, pour aller porter secours au frêle bâtiment désemparé ; souvent, grâce à son sublime dévouement et à son habileté à conduire une embarcation, plus d’un pêcheur avait à le remercier d’avoir revu sa pauvre chaumière !

Parmi ceux, surtout, qui lui portaient un intérêt tout particulier, était Madame St.-Aubin. Elle avait reconnu, en plusieurs occasions, que, sous cette écorce rude et inculte, dans ses yeux noirs et vifs, dans ses pommettes de joues saillantes, il y avait plus de cœur et d’intelligence qu’un œil peu observateur n’en pouvait d’abord soupçonner. Jamais il ne se présentait à la demeure du bourgeois, comme on appelait M. St.-Aubin, sans en recevoir quelques secours ; et, maintes fois, il leur avait prouvé, qu’en l’obligeant on n’avait pas rendu service à un ingrat. Son attachement pour l’enfant était excessif : c’était avec plaisir qu’il s’astreignait à un travail minutieux pour lui confectionner des jouets, et satisfaire ses moindres caprices enfantins. Bien des fois on l’avait confiée à ses soins, et c’était toujours avec une tendre sollicitude qu’il veillait sur elle. À la vérité il n’était pas facile de faire de la peine impunément à la petite Hermine, lorsqu’elle était sous sa garde, ainsi que sous celle du magnifique terreneuve qu’on appelait Phédor.