Page:De Charrière - Bien-né. Nouvelles et anecdotes. Apologie de la flatterie.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
8

très-bon, & ce n’eſt pas ce que je mange & bois qui peut ôter la ſubſiſtance à mon peuple. Obéis, dit le phantôme ; Je t’en dirai davantage dans huit jours. Le Roi obéit. Il faiſoit placer auprès de lui ſur la table une bouteille moitié eau, moitié vin, & quand elle étoit finie, n’ayant plus de quoi boire, il ceſſoit de manger.

L’étonnement redoubla, & la conſternation devint général. Bien-né s’apperçut qu’il avoit la tête beaucoup plus libre qu’auparavant, & que cependant on lui parloit beaucoup moins d’affaires. C’eſt ſingulier, diſoit-il, jamais je n’ai point été ſi diſpoſé à travailler, on doit voir que je ſuis moins diſtrait & moins aſſoupi que je n’étois, & cependant on me propoſe point de projets utiles, point de projets nouveaux, on n’a plus rien à me demander, ni à me dire.

Outre que l’abſtinence où il vivoit, ne laiſſait pas que d’être pénible, ce ſilence où l’on reſtoit avec lui l’ennuyoit un peu, mais l’eſpece d’amie qu’il s’étoit acquiſe lui revenant dans leſprit à tout moment, le conſoloit beaucoup, & il étoit très-curieux