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faire, tant il eſt vieux, d’une princeſſe qui parlant d’une vile bloquée & affamée, diſoit : mais ces gens-là, que ne mangeoient-ils du pain & du fromage ! Je crois que ce conte n’exagere pas de beaucoup l’ignorance preſqu’inſéparable de la grandeur ; je crois que ſi on pouvoit entretenir à ſon aiſe un Roi, on ſeroit ſurpris de l’idée fauſſe & confuſe qu’il attache, ou plutôt de la non-idée qui reſte attachée dans ſa tête à la plus part des mots. N’y a-t-il pas eu, Lecteur, dans vos prieres, ou dans votre catéchiſme, ou dans les fables de la Fontaine, quelque phraſe que vous n’ayez point compriſe quand on vous l’a fait apprendre, & que vous ayez entendu réciter & récitée vous-même mille fois depuis, ſans vous en demander le ſens, & même ſans vous appercevoir qu’elle n’en eût point pour vous ? C’eſt, ſi je ne me trompe, l’image du langage des grands Princes.

Et nous-mêmes qui ne ſommes pas des rois quelle ineptie ne découvrons-nous pas en nous, quand de l’emploi machinal de certains mots nous paſſons à la connoiſſance