Page:De Coster - Contes brabançons, 1861.djvu/159

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montrant ce portrait : Ce n’était pas un ange, dit-il, non, elle était trop vraiment femme, c’est pourquoi je l’aimai. Vive comme l’éclair, pétillante comme le champagne, bonne comme la fleur du froment, gaie comme l’oiseau libre, elle fut toute sa vie toute à moi, comme je fus toujours tout à elle. Je n’eus point d’autre amour. Sans nous être fait le moindre serment, sans nous être jamais dit que nous nous aimions, nous nous dévouâmes l’un à l’autre. Elle était de la race de ces femmes de Flandre, pour qui dire n’est rien, agir est tout, mentir est impossible. Le jour où elle eut cessé de m’aimer, elle m’eût dit : Va-t-en.

« Il me semblait que jamais rien ne dût nous désunir ; j’avais compté sans la mort. N’en parlons plus, dit-il tout à coup. » Cependant il poursuivit d’une voix que la douleur faisait rauque : « J’avais trente ans lorsqu’elle mourut ; son souvenir ne m’a pas quitté un instant. Que je dorme ou que je veille, elle est toujours près de moi. Ma vie se passe comme si elle vivait encore, à peindre, à rêver, à faire chanter ce violon dont elle aimait tant le son. Je fais le bien en pensant à elle et je la reverrai sans doute là-haut. »

Voilà tout ce que je sais de Jérôme ; vous allez voir maintenant en quoi consistait sa folie, si folie il y a : Un soir d’été, un peu avant le coucher du soleil, j’étais entré