Un vieil homme, son père, marchait derrière elle, chargé de deux filets, l’un de poiſſons, l’autre de gibier.
— Celle-là, dit Lamme la montrant, j’en ferai ma femme.
— Oui, dit Ulenſpiegel, je la connais, c’eſt une Flamande de Zotteghem, elle demeure rue Vinave-d’lſle, & les voiſins diſent que sa mère balaye la rue, devant la maiſon, à sa place, & que son père repaſſe ses chemiſes.
Mais Lamme ne répondit point & dit tout joyeux :
— Elle m’a regardé.
Ils vinrent à deux au logis de Lamme, près du Pont-des-Arches, & frappèrent à la porte. Une servante borgne vint leur ouvrir. Ulenſpiegel vit qu’elle était vieille, longue, plate & farouche.
— La Sanginne, lui dit Lamme, veux-tu de celui-ci pour t’aider en ta beſogne ?
— Je le prendrai à l’épreuve, dit-elle.
— Prends-le donc, dit-il, & fais-lui eſſayer les douceurs de ta cuiſine.
La Sanginne mit alors sur la table trois boudins noirs, une pinte de cervoiſe & une groſſe miche de pain.
Pendant qu’Ulenſpiegel mangeait, Lamme grignotait auſſi un boudin :
— Sais-tu, lui dit-il, ou notre âme habite ?
— Non, Lamme, dit Ulenſpiegel.
— C’eſt dans notre eſtomac, repartit Lamme, pour le creuſer sans ceſſe & toujours en notre corps, renouveler la force de vie. Et quels sont les meilleurs compagnons ? Ce sont tous bons & fins mangers & vin de Meuſe par-deſſus.
— Oui, dit Ulenſpiegel ; les boudins sont une agréable compagnie à l’âme solitaire.
— Il en veut encore, donne-lui-en, la Sanginne, dit Lamme.
La Sanginne en donna de blancs, cette fois, à Ulenſpiegel.
Pendant qu’il bauffrait, Lamme, devenu songeur, diſait : — Quand je mourrai, mon ventre mourra avec moi, & là-deſſous, en purgatoire, on me laiſſera jeûnant, promenant ma bedaine flaſque & vide.
— Les noirs me semblaient meilleurs, dit Ulenſpiegel.
— Tu en as mangé six, répondit la Sanginne, & tu n’en auras plus.
— Tu sais, dit Lamme, que tu seras bien traité ici & mangeras comme moi.
— Je retiendrai cette parole, répondit Ulenſpiegel.