Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/191

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— Fils, pauvre martyr ! Si meſſieurs les juges le veulent, je te guérirai, moi ; mais éveille-toi, Thyl, mon fils ! Meſſieurs les juges, si vous me l’avez tué, j’irai à Sa Majeſté ; car vous avez agi contre tout droit & juſtice, & vous verrez ce que peut une pauvre femme contre les méchants. Mais, meſſieurs, laiſſez-nous libres enſemble. Nous n’avons que nous deux au monde, pauvres gens sur qui la main de Dieu tombe lourde.

Ayant délibéré, les juges rendirent la sentence suivante :

« Pour ce que vous, Soetkin, femme veuve de Claes, & vous, Thyl, fils de Claes, surnommé Ulenſpiegel, ayant été accuſés d’avoir fruſtré le bien qui, par confiſcation, appartenait à Sa Royale Majeſté, nonobſtant tous privilèges à ce contraire, n’avez, malgré torture cruelle & épreuves suffiſantes, rien avoué ;

« Le tribunal, conſidérant le manque d’indices suffiſants, & en vous, femme, le pitoyable état de vos membres, & en vous, homme, la rude torture que vous avez soufferte, vous déclare libres, & vous permet de vous fixer chez celui ou celle de la ville à qui il conviendra de vous loger, nonobſtant votre pauvreté.

« Ainſi fait à Damme, le vingt-troiſième jour d’octobre, l’an de Notre-Seigneur 1558. »

— Grâces vous soient rendues, meſſieurs les juges, dit Soetkin.

— Le poiſſonnier ! gémiſſait Ulenſpiegel.

Et la mère & le fils furent menés chez Katheline dans un chariot.


LXXIX


En cette année, qui fut la cinquante-huitième du siècle, Katheline entra chez Soetkin, & dit :

« Cette nuit, m’étant ointe de baume, je fus tranſportée sur la tour de Notre-Dame, & je vis les eſprits élémentaires tranſmettant les prières des hommes aux anges, leſquels, s’envolant vers les hauts cieux, les portaient au trône. Et le ciel était tout parſemé d’étoiles radiantes. Soudain s’éleva d’un bûcher une forme qui me parut noire & monta se placer près de moi sur la tour. Je reconnus Claes tel qu’il était en vie, vêtu de ses habits de