Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/241

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— D’où vient que tu cries en août & que les fillettes de Brabant crient la veille de mars ?

— Celles-là, dit-elle, n’ont qu’un mois donateur de mari, moi j’en ai douze, & à la veille de chacun d’eux, non à minuit, mais pendant six heures juſque minuit, je saute de mon lit, je fais trois pas à reculons vers la fenêtre, je crie ce que tu sais ; puis, me retournant, je fais trois pas à reculons vers le lit, & à minuit, me couchant, je m’endors, rêvant du mari que j’aurai. Mais les mois, doux mois, étant mauvais gauſſeurs de leur nature, ce n’eſt plus d’un mari que je rêve, mais de douze à la fois ; tu seras le treizième si tu veux.

— Les autres seraient jaloux, répondit Ulenſpiegel. Tu cries auſſi : « Délivrance ! »

La fillette rougiſſante répondit :

— Je crie délivrance & sais ce que je demande.

— Je le sais pareillement & te l’apporte, répondit Ulenſpiegel.

— Il faut attendre, dit-elle souriant & montrant ses dents blanches.

— Attendre, dit Ulenſpiegel, non. Une maiſon peut me tomber sur la tête, un coup de vent me jeter dans un foſſé, un roquet plein de rage me mordre à la jambe ; non, je n’attendrai point.

— Je suis trop jeune, dit-elle, & ne crie que pour la coutume.

Ulenſpiegel devint soupçonneux, songeant que c’eſt à la veille de mars & non du mois des blés que les filles de Brabant crient pour avoir un mari.

Elle dit souriant :

— Je suis trop jeune & ne crie que pour la coutume

— Attendras-tu que tu sois trop vieille ? répondit Ulenſpiegel. C’eſt mauvaiſe arithmétique. Je ne vis jamais de cou si rond de seins plus blancs, seins de Flamande pleins de ce bon lait qui fait les mâles.

— Pleins ? dit-elle ; pas encore, voyageur précipité.

— Attendre, répéta Ulenſpiegel. Faudra-t-il que je n’aie plus de dents pour te manger toute crue, mignonne ? Tu ne réponds point, tu souris de tes yeux brun clair & de tes lèvres rouges comme ceriſes.

La fillette, le regardant finement, répondit :

— Pourquoi m’aimes-tu si vite ? Quel métier fais-tu ? Es-tu gueux, es-tu riche ?

— Gueux, dit-il, je le suis, & riche tout enſemble, si tu me donnes ton corps mignon.