Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/246

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aux temps d’inondation à y loger les beſtiaux, sur les rivières, dans des barques.

Sur terre, ils se retranchaient comme dans un camp en s’entourant de leurs chariots. Sur les rivières & dans les havres, des barques pleines d’hommes armés faiſaient la garde autour d’eux.

Et dans les camps, des mouſquetaires & arquebuſiers les gardaient des surpriſes de l’ennemi.

Et ainſi la parole de liberté fut entendue de toutes parts sur la terre des pères.


XI


Ulenſpiegel & Lamme étant à Bruges, avec leur chariot qu’ils laiſſèrent en une cour voiſine, entrèrent en l’égliſe du Saint-Sauveur, au lieu d’aller à la taverne, car il n’y avait plus dans leurs eſcarcelles nul joyeux tintement de monnaie.

Le père Cornelis Adriaenſen, frère mineur, sale, éhonté, furieux & aboyeur prédicant, se démenait ce jour-là dans la chaire de vérité.

De jeunes & belles dévotes se preſſaient autour.

Le père Cornelis parlait de la Paſſion. Quand il en fut au paſſage du saint Évangile où les Juifs criaient à Pilate, en parlant de Monſeigneur Jéſus : « Crucifiez-le, crucifiez-le, car nous avons une loi, &, d’après cette loi, il doit mourir ! » Broer Cornelis s’exclama :

« Vous venez de l’entendre, bonnes gens, si Notre-Seigneur Jéſus-Chriſt a pâti une mort horrifique & honteuſe, c’eſt qu’il y a toujours eu des lois pour punir les hérétiques. Il fut juſtement condamné, parce qu’il avait déſobéi aux lois. Et ils veulent maintenant regarder comme rien les édits & les placards. Ah ! Jéſus ! quelle malédiction voulez-vous faire tomber sur ces pays ! Honorée mère de Dieu, si l’empereur Charles était encore en vie & qu’il pût voir le scandale de ces nobles confédérés qui ont oſé préſenter une requête à la Gouvernante contre l’Inquiſition & contre les placards faits dans un but si bon, qui sont si mûrement penſés, édictés, après de si longues & de si prudentes réflexions, pour détruire toutes les sectes & héréſies ! Et ils voudraient, quand ils sont plus néceſſaires