Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/311

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sur son deſtrier, portant sa selle de guerre & le chanfrein de plumes, & tout bardé de fer.

Ulenſpiegel se fit un armement de gentilhomme d’armes : son deſtrier fut un âne ; sa selle furent les jupes d’une fille-folle ; le chanfrein orné de plumes fut en oſier, garni au-deſſus de beaux copeaux bien voltigeants. Sa barbe fut de lard, car, diſait-il, le fer coûte trop, l’acier eſt hors de prix, & quant au cuivre, on en a fait tant de canons, ces jours derniers, qu’il n’en reſte plus de quoi armer un lapin en bataille. Il mit en guiſe de couvre-chef une belle salade que les limaçons n’avaient point encore mangée ; la salade était surmontée d’une plume de cygne, pour le faire chanter s’il trépaſſait.

Son eſtoc, raide & léger, fut un bon, long, gros bâton de sapin, au bout duquel il y avait un balai de branches du même bois. Au côté gauche de sa selle pendait son couteau, qui était de bois pareillement ; au côté droit se balançait sa bonne maſſe d’armes, qui était de sureau, surmontée d’un navet. Sa cuiraſſe était toute de défauts.

Quand il vint ainſi accoutré au champ de combat, les seconds de Rieſencraft éclatèrent de rire, mais celui-ci demeura confit en son aigre trogne.

Il fut alors demandé par les seconds d’Ulenſpiegel, à ceux de Rieſencraft, que l’Allemand ôtât tout son armement de mailles & de fer, vu qu’Ulenſpiegel n’était armé que de loques. Ce à quoi Rieſencraft conſentit. Les seconds de Rieſencraft demandèrent alors a ceux d’Ulenſpiegel, d’où il venait qu’Ulenſpiegel fut armé d’un balai.

— Vous m’octroyâtes le bâton, mais vous ne me défendîtes point de l’égayer de feuillage.

— Fais comme tu l’entends, dirent les quatre seconds.

Rieſencraft ne sonnait mot & tailladait à petits coups de son eſtoc les plantes maigres de la bruyère.

Les seconds l’engagèrent à remplacer son eſtoc par un balai pareillement à Ulenſpiegel.

Il répondit :

— Si ce bélître a choiſi de son plein gré une arme auſſi inaccoutumée, c’eſt qu’il croit pouvoir défendre sa vie avec elle.

Ulenſpiegel diſant derechef qu’il voulait se servir de son balai, les quatre seconds convinrent que tout était bien.

Ils étaient tous deux en préſence, Rieſencraft sur son cheval bardé de fer, Ulenſpiegel sur son baudet bardé de lard.