Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/339

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catholique, par vente de choſes bénies, les hérétiques de ce pays. Nous entrerons ainſi partout, chez les nobles seigneurs & dans les graſſes abbayes. Et ils nous donneront une onctueuſe hoſpitalité. Et nous surprendrons leurs secrets. Lèche-toi les babouines, mon ami doux.

— Mon fils, dit Lamme, nous faiſons-là le métier d’eſpions.

— Par droit & loi de guerre, répondit Ulenſpiegel.

— S’ils apprennent le fait des trois prédicants, nous mourrons sans doute, dit Lamme.

Ulenſpiegel chanta :

J’ai mis vivre sur mon drapeau,
Vivre toujours à la lumière.
De cuir eſt ma peau première,
D’acier ma seconde peau.

Mais Lamme soupirant :

— Je n’ai qu’une peau bien molle, le moindre coup de dague la trouerait incontinent. Nous ferions mieux de nous adonner à quelque utile métier que de courir ainſi la pretantaine par monts & par vaux, pour servir tous ces grands princes qui, les pieds dans des houſeaulx de velours, mangent des ortolans sur des tables dorées. À nous les coups, dangers, bataille, pluie, grêle, neige, soupes maigres des vagabonds. À eux, les fines andouilles, gras chapons, grives parfumées, poulardes succulentes.

— L’eau t’en vient à la bouche, mon ami doux, dit Ulenſpiegel.

— Où êtes-vous, pain frais, koekebacken dorées, crèmes délicieuſes ? Mais où es-tu, ma femme ?

Ulenſpiegel répondit :

— Les cendres battent sur mon cœur & me pouſſent à la bataille. Mais toi, doux agneau qui n’as à venger ni la mort de ton père ni de ta mère, ni le chagrin de ceux que tu aimes, ni ta préſente pauvreté, laiſſe-moi seul marcher où je dois si les fatigues de guerre t’effraient.

— Seul ? dit Lamme

Et il arrêta tout net son âne, qui se mit à ronger un bouquet de chardons, dont il y avait sur ce chemin grand planté. L’âne d’Ulenſpiegel s’arrêta & mangea pareillement.

— Seul ? dit Lamme. Tu ne me laiſſeras point seul, mon fils, ce serait une inſigne cruauté. Avoir perdu ma femme & perdre encore un ami, cela ne se peut. Je ne geindrai plus, je te le promets. Et, puiſqu’il le faut, — & il leva