Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/341

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— Hi han ! hi han ! hi han ! faiſait le batelier.

— Laiſſez-le chanter, dit la commère, nous l’avons vu l’autre jour lever sur les épaules une charrette chargée de lourds tonneaux de bière, & arrêter une autre charrette traînée par un vigoureux cheval. Là, dit-elle en montrant l’auberge de la Blauwe Torren, la Tour Bleue, il a percé de son couteau, lancé à vingt pas, une planche de chêne de douze pouces d’épaiſſeur.

— Hi han ! hi han ! hi han ! faiſait le batelier, tandis qu’un garçonnet de douze ans montait sur le pont du bateau & se mettait à braire pareillement.

Ulenſpiegel répondit :

— Il ne nous chault de ton Pierre le Fort ! Si Stercke Pier qu’il soit, nous le sommes plus que lui, & voilà mon ami Lamme qui en mangerait deux de sa taille sans hoqueter.

— Que dis-tu, mon fils ? demanda Lamme.

— Ce qui eſt, répondit Ulenſpiegel ; ne me contredis point par modeſtie. Oui, bonnes gens, commères & manouvriers, tantôt vous le verrez beſogner des bras & réduire à néant ce fameux Stercke Pier.

— Tais-toi, dit Lamme.

— Ta force eſt connue, répondit Ulenſpiegel, tu ne la pourrais cacher.

— Hi han ! faiſait le batelier, hi han ! faiſait le garçonnet.

Soudain Ulenſpiegel chanta de nouveau comme une alouette bien mélodieuſement. Et les hommes, les femmes & manouvriers, ravis d’aiſe, lui demandaient où il avait appris ce divin sifflement.

— En paradis, d’où je viens tout droit, répondit Ulenſpiegel.

Puis, parlant à l’homme qui ne ceſſait de braire & de le montrer du doigt par moquerie :

— Pourquoi reſtes-tu là, vaurien, sur ton bateau ? N’oſes-tu point venir à terre te gauſſer de nous & de nos montures ?

— Ne l’oſes-tu point ? diſait Lamme.

— Hi han ! hi han ! faiſait le batelier. Meſſires baudets baudoyant, montez sur mon bateau.

— Fais comme moi, dit tout bas Ulenſpiegel à Lamme.

Et parlant au batelier :

— Si tu es le Stercke Pier, moi je suis Thyl Ulenſpiegel. Et ces deux-ci sont nos ânes Jef & Jan, qui savent mieux braire que toi, car c’eſt leur parler naturel. Quant à monter sur tes planches mal jointes, nous ne le voudrions point. Ton bateau eſt comme une cuvelle, chaque fois qu’une