— Voici encore trois florins : nous mangerons tout ; c’eſt moi qui paye. Allons au Peigne-d’Or. Il n’eſt pas mort, mon ami. Vive le Gueux !
Et le peuple applaudiſſait, & ils s’en furent au Peigne-d’Or, où un grand feſtin fut commandé ; & Lamme jetait des deniers au populaire par les fenêtres.
Et Ulenſpiegel diſait à Nele :
— Mignonne aimée, te voilà donc près de moi ! Noël ! elle eſt ici, chair, cœur & âme, ma douce amie. Oh ! les yeux doux & les belles lèvres rouges d’où il ne sortit jamais que de bonnes paroles ! Elle me sauva la vie, la tendre aimée ! Tu joueras sur nos navires le fifre de délivrance. Te souvient-il… mais non… À nous eſt l’heure préſente pleine de lieſſe, & à moi ton viſage doux comme fleurs de juin. Je suis en paradis. Mais, dit-il, tu pleures…
— Ils l’ont tuée, dit-elle.
Et elle lui conta l’hiſtoire de deuil.
Et, se regardant l’un l’autre, ils pleurèrent d’amour & de douleur.
Et au feſtin ils burent & mangèrent, & Lamme les regardait dolent, diſant :
— Las ! ma femme, où es-tu ?
Et le prêtre vint & maria Nele & Ulenſpiegel.
Et le soleil du matin les trouva l’un près de l’autre dans leur lit d’épouſailles.
Et Nele repoſait sa tête sur l’épaule d’Ulenſpiegel. Et quand elle s’éveilla au soleil, il dit :
— Frais viſage & doux cœur, nous serons les vengeurs de Flandre.
Elle, le baiſant sur la bouche :
— Tête folle & bras forts, dit-elle, Dieu bénira le fifre & l’épée.
— Je te ferai un coſtume de soudard.
— Tout de suite ? dit-elle.
— Tout de suite, répondit Ulenſpiegel ; mais qui dit qu’au matin les fraiſes sont bonnes ? Ta bouche eſt bien meilleure.