Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme, veux-tu un miroir pour contempler ta ventralité ? C’eſt moi qui te nourris, monument de chair & d’os. J’ai juré que tu cracherais de la graiſſe, que tu suerais de la graiſſe & laiſſerais derrière toi des traces de graiſſe comme une chandelle fondant au soleil. On dit que l’apoplexie vient au septième menton ; tu en as cinq & demi maintenant.

Puis, parlant aux Gueux :

— Voyez ce paillard ! c’eſt Broer Cornelis Adriaenſen Vauriaenſen, de Bruges : là, il prêcha une nouvelle pudeur. Sa graiſſe eſt sa punition ; sa graiſſe eſt mon ouvrage. Or oyez, vous tous matelots & soudards : je vais vous quitter, te quitter, toi, Ulenſpiegel, te quitter auſſi toi, petite Nele, pour aller à Fleſſingue où j’ai du bien, vivre avec ma pauvre femme retrouvée. Vous me fîtes jadis serment de m’accorder tout ce que je vous demanderais…

— C’eſt parole de Gueux, dirent-ils.

— Donc, dit Lamme, regardez ce paillard, ce broer Adriaenſen Vauriaenſen, de Bruges ; je jurai de le faire mourir de graiſſe comme un pourceau ; conſtruiſez une cage plus large, faites-lui faire de force douze repas en un jour au lieu de sept ; baillez-lui une nourriture graſſe & sucrée : il eſt déjà comme un bœuf, faites qu’il soit comme un éléphant, & vous le verrez remplir bientôt la cage.

— Nous l’engraiſſerons, dirent-ils.

— Et maintenant, pourſuivit Lamme parlant au moine, je te dis adieu auſſi à toi, vaurien, que je fais nourrir monacalement au lieu de te faire pendre : crois en graiſſe & en apoplexie.

Puis, prenant sa femme Calleken dans ses bras :

— Regarde, grogne ou meugle, je te l’enlève, tu ne la fouetteras point davantage.

Mais le moine, entrant en fureur & parlant à Calleken :

— Tu t’en vas donc, femme charnelle, dans le lit de Luxure ! Oui, tu t’en vas sans pitié pour le pauvre martyr de la parole de Dieu, qui t’enſeigna la sainte, suave & céleſte diſcipline. Sois maudite ! Que nul prêtre ne te pardonne ; que la terre soit brûlante à tes pieds ; que le sucre te paraiſſe du sel ; que le bœuf te soit comme du chien mort ; que le pain te soit de la cendre ; que le soleil te soit de glace & la neige un feu d’enfer ; que ta fécondité soit maudite ; que tes enfants soient déteſtables ; qu’ils aient un corps de singe, une tête de pourceau plus groſſe que leur ventre ; que tu souffres, pleures, geignes en ce monde & en l’autre, dans l’enfer qui t’attend, l’enfer de soufre