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LES ANCIENS CANADIENS.

je lui passai ma baïonnette au travers du corps. Après tout, c’est pour le mieux, car que ferais-je de ma main droite à présent qu’on ne se bat plus. Pas plus de guerre que sur la main, depuis que l’Anglais est maître du pays, ajouta José en soupirant.

— Il paraît, mon cher José, reprit de Locheill en riant, que vous savez très bien vous passer de la main droite, quand la gauche vous reste.

— C’est vrai, fit José : ça peut faire dans les cas pressés, comme dans mon escarmouche avec la petite jupe ; mais, à vous dire vrai, j’ai bien regretté d’être manchot. Je n’aurais pas eu trop de mes deux mains pour servir mes bons maîtres : les temps ont été durs, allez ; mais, Dieu merci, le plus fort est fait.

Et une larme roula dans les yeux du fidèle José.

De Locheill se rendit ensuite auprès des moissonneurs, occupés à râteler et à charger les charrettes de foin ; c’étaient tous des vieilles connaissances qui le reçurent avec amitié ; car, le capitaine excepté, toute la famille, et Jules, avant son départ pour l’Europe, s’étaient fait un devoir de le disculper.

Le dîner, servi avec la plus grande simplicité, fut néanmoins très abondant, grâce au gibier dont grèves et forêts foisonnaient dans cette saison. L’argenterie était réduite au plus strict nécessaire ; outre les cuillères, fourchettes et gobelets obligés, un seul pot de forme antique, aux armes d’Haberville, attestait l’opulence de cette famille. Le dessert, tout composé des fruits de la saison, fut apporté sur des feuilles d’érable dans des cassots et des corbeilles qui témoignaient de l’industrie des anciens aborigènes. Un petit verre de cacis avant le repas pour aiguiser l’appétit, de la bière d’épinette faite