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26 JACQUES DE LACRETELLE

émouvante, elle nous tire des larmes. Mais il ne faut pas que ce souvenir fasse du Canadien français un homme pétrifié dans le passé. Il faut qu'il ait la curiosité de la France d’aujour- d'hui, qu’il la comprenne, qu'il ait confiance en elle.

C’est ce que je n’ai pu m'empêcher de dire aux Universités de Québec et de Montréal, lorsque j'ai pris la parole pour célébrer Maria Chapdelaine.

« Je n’ignore pas que cette France d’aujourd’hui n’est pas toujours à l’image de celle que vous révérez le plus. Elle manifeste tantôt de l’impatience et tantôt du laisser-aller, Elle veut innover, elle agit par coups de tête... Mais vous qui êtes un peuple de pionniers, vous devez comprendre ces mouve- ments. De même que vos gens des provinces désirent « faire de la terre », gagner pied à pied sur la sombre forêt, nous sommes enclins, nous, vos cousins d'Europe, à « faire des idées ». Nous rêvons d'agrandir l’espace où se meut l'esprit de l'innombrable famille humaine.

« De là, dans tous les domaines, ces poussées de curiosité, ces hardiesses, ces expériences qui nous font souvent frôler le pire et nous donnent l’apparence, mais l’apparence seulement, d’être des destructeurs.

« S’il s’agit de littérature, vous voyez nos romanciers actuels s'attaquer à des sujets ou à des scènes qui naguère eussent fait scandale. C’est que nous voulons voir clair, nous avons la pré- tention, sans doute audacieuse, de débrouiller les secrets des humains. Et nous pensons que même si la Providence règle le cours de notre destinée, il n’est aucun de nos actes qui ne puisse être étudié à la lumière de la raison.

« S’il s’agit de poésie, nous cherchons des licences nouvelles. S’il s’agit d’art, de peinture, par exemple, nous demandons des enchantements inédits au monde des formes et des cou- leurs.

« Doit-on juger pour cela que notre littérature est en décom-