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insensiblement à la fusion de deux règnes, à l’union de l’infini et du fini. La mer s’apaise, se peuple, change d’odeur ; le bec de l’oiseau se transforme, l’algue devient mousse, le feston des vagues se fige au loin et forme la crête des premiers toits. Il y a là les éléments d’un grand poème valéryen.

De ces rives du pays de Québec, qui forment l’estuaire, Jacques Cartier a fait une description quasi fabuleuse : « C’est le pays le plus beau qu'il soit possible de voir. Tout est égal et uni; et il n’y a lieu si petit où il n’y ait des arbres et où il n’y ait du froment sauvage, qui a l’épi comme le seigle et le grain comme l’avoine ; et du raisin blanc et rouge avec la fleur blanche dessus, des fraises, des mûres, des roses rouges et blanches et autres fleurs de plaisante, douce et agréable odeur. »

Mais cette remontée de l'estuaire est longue (plus de mille kilomètres), et la nuit était tombée lorsque les deux rives vin- rent à se rapprocher. Il me fallut donc imaginer les fleurs et les fruits entrevus par Jacques Cartier, et rêver sous les étoiles au poème valéryen…

Le lendemain matin, enfin, à un endroit où le fleuve se resserre, une vieille estampe se dessina devant mes yeux. C'était Québec.

La ville, qui avance en proue, offre un très singulier mélange de tradition et de modernisme. Elle a gardé son tracé de forteresse, son style dix-huitième, ses flèches élancées, et, à côté, de grands élévateurs à grains allongent leur jeu d’orgue en ciment. En bas on me montre des quais qui rappellent le Vieux Dieppe ou le port de Fécamp autant par leurs maison- nettes que par les noms des remorqueurs qui vont y accoster : Colbert, Chateau. Au-dessus, un vaste plateau boisé, sans cons- tructions, forme le fond de l’estampe. C’est la fameuse plaine d’Abraham où tomba Montcalm, et que le gouvernement a transformée en parc national.