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LES BRIGANDS ET D. CARLOS DE SCHILLER

« passer en moi, lui dit-il, une croyance qui dépouille de son horreur le meurtre d’un fils ? » — Le grand-inquisiteur lui répond : — « Pour apaiser l’éternelle justice, le fils de Dieu mourut sur la croix. » — Quel mot ! quelle application sanguinaire du dogme le plus touchant !

Ce vieillard aveugle fait apparoître avec lui tout un siècle. La terreur profonde que l’inquisition et le fanatisme même de ce temps devoient faire peser sur l’Espagne, tout est peint par cette scène laconique et rapide ; nulle éloquence ne pourroit exprimer ainsi une telle foule de pensées mises habilement en action.

Je sais que l’on pourroit relever beaucoup d’inconvenances dans la pièce de don Carlos ; mais je ne me suis pas chargée de ce travail pour lequel il y a beaucoup de concurrents. Les littérateurs les plus ordinaires peuvent trouver des fautes de goût dans Shakespear, Schiller, Goethe, etc. ; mais quand il ne s’agit dans les ouvrages de l’art que de retrancher, cela n’est pas difficile : c’est l’âme et le talent qu’aucune critique ne peut donner : c’est là ce qu’il faut respecter partout où l’on le trouve, de quelque nuage que ces rayons célestes soient environnés. Loin de se réjouir des erreurs du génie, l’on sent