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DE L’ESPRIT DE CONVERSATION

se trouva levé contre tout le monde, ou plutôt contre personne. Si l’on répandait le bruit que telle manière de voir est universellement reçue, l’on obtiendroit l’unanimité, malgré le sentiment intime de chacun ; l’on se garderoit alors, pour ainsi dire, le secret de la comédie, car chacun avoueroit séparément que tous ont tort. Dans les scrutins secrets on a vu des députés donner leur boule blanche ou noire contre leur opinion, seulement parce qu’ils croyoient la majorité dans un sens différent du leur, et qu’ils ne vouloient pas, disoient-ils, perdre leur voix.

C’est par ce besoin social de penser comme tout le monde qu’on a pu s’expliquer pendant la révolution le contraste du courage à la guerre, et de la pusillanimité dans la carrière civile. Il n’y a qu’une manière de voir sur le courage militaire ; mais l’opinion publique peut être égarée relativement à la conduite qu’on doit suivre dans les affaires politiques. Le blâme de ceux qui vous entourent, la solitude, l’abandon vous menacent si vous ne suivez pas le parti dominant ; tandis qu’il n’y a dans les armées que l’alternative de la mort et du succès, situation charmante pour des Français qui ne craignent point l’une et aiment passionnément l’autre. Mettez la mode, c’est-à--