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DE L’ALLEMAGNE

dire les applaudissements du côté du danger, et vous verrez les Français le braver sous toutes ses formes ; l’esprit de sociabilité existe en France depuis le premier rang jusqu’au dernier : il faut s’entendre approuver par ce qui nous environne ; on ne veut s’exposer, à aucun prix, au blâme ou au ridicule ; car dans un pays où causer a tant d’influence, le bruit des paroles couvre souvent la voix de la conscience.

On connoît l’histoire de cet homme qui commença par louer avec transport une actrice qu’il venoit d’entendre ; il aperçut un sourire sur les lèvres des assistants, il modifia son éloge : l’opiniâtre sourire ne cessa point, et la crainte de la moquerie finit par lui faire dire : Ma foi ! la pauvre diablesse a fait ce qu’elle a pu. Les triomphes de la plaisanterie se renouvellent sans cesse en France ; dans un temps il convient d’être religieux, dans un autre de ne l’être pas ; dans un temps d’aimer sa femme, dans l’autre de ne pas paraître avec elle. Il a existé même des moments où l’on eût craint de passer pour niais si l’on avoit montré de l’humanité, et cette terreur du ridicule, qui, dans les premières classes, ne se manifeste d’ordinaire que par la vanité, s’est traduite en férocité dans les dernières.