Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
DE L’ALLEMAGNE DU NORD

dans l’esprit en littérature et en philosophie, mais nullement dans les affaires. Ils les considèrent toujours partiellement, et s’en occupent d’une façon presque mécanique. C’est le contraire en France : l’esprit des affaires y a beaucoup d’étendue, et l’on n’y permet pas l’universalité en littérature ni en philosophie. Si un savant étoit poëte, si un poëte étoit savant, il deviendroit suspect chez nous aux savants et aux poètes ; mais il n’est pas rare de rencontrer dans le plus simple négociant des aperçus lumineux sur les intérêts politiques et militaires de son pays. De là vient qu’en France il y a un plus grand nombre de gens d’esprit, et un moins grand nombre de penseurs. En France, on étudie les hommes ; en Allemagne, les livres. Des facultés ordinaires suffisent pour intéresser en parlant des hommes ; il faut presque du génie pour faire retrouver l’âme et le mouvement dans les livres. L’Allemagne ne peut attacher que ceux qui s’occupent des faits passés et des idées abstraites. Le présent et le réel appartiennent à la France ; et, jusqu’à nouvel ordre, elle ne paroît pas disposée à y renoncer.

Je ne cherche pas, ce me semble, à dissimuler les inconvénients de l’Allemagne. Ces petites villes du nord elles-mêmes, où l’on trouve des hommes