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DE L’ALLEMAGNE

gouvernement digne et paternel. Un air de probité se fait sentir dans chaque objet que l’on aperçoit ; on se croit en famille au milieu de deux cent mille hommes, que l’on appelle nobles, bourgeois ou paysans, mais qui sont tous également dévoués à la patrie.

Pour aller à la fête, il falloit s’embarquer sur l’un de ces lacs dans lesquels les beautés de la nature se réfléchissent, et qui semblent placés au pied des Alpes pour en multiplier les ravissants aspects. Un temps orageux nous dérobait la vue distincte des montagnes, mais, confondues avec les nuages, elles n’en étoient que plus redoutables. La tempête grossissoit, et bien qu’un sentiment de terreur s’emparât de mon âme, j’aimois cette foudre du ciel qui confond l’orgueil de l’homme. Nous nous reposâmes un moment dans une espèce de grotte avant de nous hasarder à traverser la partie du lac de Thun, qui est entourée de rochers inabordables. C’est dans un lieu pareil que Guillaume Tell sut braver les abîmes et s’attacher à des écueils pour échapper à ses tyrans. Nous aperçûmes alors dans le lointain cette montagne qui porte le nom de Vierge (Jung frau), parce qu’aucun voyageur n’a jamais pu gravir jusqu’à son sommet : elle est moins haute que le Mont-