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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

il en est de même des langues latines : mais celles-ci ne sauroient rendre la poésie des peuples germaniques. Une musique composée pour un instrument n’est point exécutée avec succès sur un instrument d’un autre genre. D’ailleurs la littérature allemande n’existe guère dans toute son originalité qu’à dater de quarante à cinquante ans ; et les Français, depuis vingt années, sont tellement préoccupés par les événements politiques, que toutes leurs études en littérature ont été suspendues.

Ce seroit toutefois traiter bien superficiellement la question, que de s’en tenir à dire que les Français sont injustes envers la littérature allemande, parce qu’ils ne la connoissent pas : ils ont, il est vrai, des préjugés contre elle ; mais ces préjugés tiennent au sentiment confus des différences prononcées qui existent entre la manière de voir et de sentir des deux nations.

En Allemagne il n’y a de goût fixe sur rien, tout est indépendant, tout est individuel. L’on juge d’un ouvrage par l’impression qu’on en reçoit, et jamais par les règles, puisqu’il n’y en a point de généralement admises : chaque auteur est libre de se créer une sphère nouvelle. En France la plupart des lecteurs ne veulent jamais