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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

passer sous les yeux tant de manières de voir diverses, qu’elle donne à l’esprit la tolérance qui naît de l’universalité.

Les Français gagneroient plus néanmoins à concevoir le génie allemand, que les Allemands à se soumettre au bon goût français. Toutes les fois que, de nos jours, on a pu faire entrer dans la régularité française un peu de sève étrangère, les Français y ont applaudi avec transport. J. J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Châteaubriand, etc., dans quelques-uns de leurs ouvrages, sont tous, même à leur insçu, de l’école germanique, c’est-à-dire qu’ils ne puisent leur talent que dans le fond de leur âme. Mais si l’on vouloit discipliner les écrivains allemands d’après les lois prohibitives de la littérature française, ils ne sauroient comment naviguer au milieu des écueils qu’on leur auroit indiqués ; ils regretteroient la pleine mer, et leur esprit seroit plus troublé qu’éclairé. Il ne s’ensuit pas qu’ils doivent tout hasarder, et qu’ils ne feroient pas bien de s’imposer quelquefois des bornes ; mais il leur importe de les placer d’après leur manière de voir. Il faut, pour leur faire adopter de certaines restrictions nécessaires, remonter au principe de ces restrictions, sans jamais employer l’autorité