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DU JUGEMENT QU’ON PORTE, etc.

sent leurs préventions contre une philosophie qui a pour objet le beau plutôt que l’utile.

Les Anglais ne séparent point, il est vrai, la dignité de l’utilité, et toujours ils sont prêts, quand il le faut, à sacrifier ce qui est utile à ce qui est honorable ; mais ils ne se prêtent pas volontiers, comme il est dit dans Hamlet, à ces conversations avec l’air dont les Allemands sont très-épris. La philosophie des Anglais est dirigée vers les résultats avantageux au bien-être de l’humanité. Les Allemands s’occupent de la vérité pour elle-même, sans penser au parti que les hommes peuvent en tirer. La nature de leurs gouvernements ne leur ayant point offert des occasions grandes et belles de mériter la gloire et de servir la patrie, ils s’attachent en tout genre à la contemplation, et cherchent dans le ciel l’espace que leur étroite destinée leur refuse sur la terre. Ils se plaisent dans l’idéal, parce qu’il n’y a rien dans l’état actuel des choses qui parle à leur imagination. Les Anglais s’honorent avec raison de tout ce qu’ils possèdent, de tout ce qu’ils sont, de tout ce qu’ils peuvent être ; ils placent leur imagination et leur amour sur leurs lois, leurs mœurs et leur culte. Ces nobles sentiments donnent à l’âme plus de force et d’énergie ; mais la pensée va peut-être