Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/274

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universel ; car il n’y a point d’indifférence dans son impartialité : c’est une double existence, une double force, une double lumière qui éclaire à la fois dans toute chose les deux côtés de la question. Quand il s’agit de penser, rien ne l’arrête, ni son siècle, ni ses habitudes, ni ses relations ; il fait tomber à plomb son regard d’aigle sur les objets qu’il observe : s’il avoit eu une carrière politique, si son âme s’étoit développée par les actions, son caractère seroit plus décidé, plus ferme, plus patriote ; mais son esprit ne planeroit pas si librement sur toutes les manières de voir ; les passions ou les intérêts lui traceroient une route positive.

Goethe se plaît, dans ses écrits comme dans ses discours, à briser les fils qu’il a tissés lui-même, à déjouer les émotions qu’il excite, à renverser les statues qu’il a fait admirer. Lorsque, dans ses fictions il inspire de l’intérêt pour un caractère, bientôt il montre les inconséquences qui doivent en détacher. Il dispose du monde poétique comme un conquérant du monde réel, et se croit assez fort pour introduire comme la nature le génie destructeur dans ses propres ouvrages. S’il n’étoit pas un homme estimable, on auroit peur d’un genre de supériorité qui s’élève au-dessus de tout, dégrade et relève, attendrit