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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

une nature intellectuelle ; l’habitude du vice a changé leur âme en un instinct perverti.

Schiller étoit le meilleur ami, le meilleur père, le meilleur époux ; aucune qualité ne manquoit à ce caractère doux et paisible que le talent seul enflammoit ; l’amour de la liberté, le respect pour les femmes, l’enthousiasme des beaux-arts, l’adoration pour la divinité, animoient son génie, et dans l’analyse de ses ouvrages il sera facile de montrer à quelle vertu ses chefs-d’œuvre se rapportent. On dit beaucoup que l’esprit peut suppléer à tout ; je le crois, dans les écrits où le savoir-faire domine ; mais quand on veut peindre la nature humaine dans ses orages et dans ses abîmes, l’imagination même ne suffit pas ; il faut avoir une âme que la tempête ait agitée, mais où le ciel soit descendu pour ramener le calme.

La première fois que j’ai vu Schiller c’étoit dans le salon du duc et de la duchesse de Weimar, en présence d’une société aussi éclairée qu’imposante : il lisoit très-bien le français, mais il ne l’avoit jamais parlé. Je soutins avec chaleur la supériorité de notre système dramatique sur tous les autres. Il ne se refusa point à me combattre ; et sans s’inquiéter des difficultés et des