Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
260
LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

ger la pensée en action donne toujours plus de mouvement au style. La facilité de renverser à son gré la construction de la phrase est aussi très-favorable à la poésie, et permet d’exciter, par les moyens variés de la versification, des impressions analogues à celles de la peinture et de la musique. Enfin l’esprit général des dialectes teutoniques, c’est l’indépendance : les écrivains cherchent avant tout à transmettre ce qu’ils sentent ; ils diroient volontiers à la poésie comme Héloïse à son amant : S’il y a un mot plus vrai, plus tendre, plus profond encore pour exprimer ce que j’éprouve, c’est celui-là que je veux choisir. Le souvenir des convenances de société poursuit en France le talent jusque dans ses émotions les plus intimes ; et la crainte du ridicule est l’épée de Damoclès, qu’aucune fête de l’imagination ne peut faire oublier.

On parle souvent dans les arts du mérite de la difficulté vaincue ; néanmoins on a dit avec raison qu’ou cette difficulté ne se sentoit pas, et qu’alors elle étoit nulle, ou qu’elle se sentoit, et qu’alors elle n’étoit pas vaincue. Les entraves font ressortir l’habileté de l’esprit ; mais il y a souvent dans le vrai génie une sorte de maladresse, sem-