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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

qu’au dernier, et il y a, dans les moindres détails, une dignité naturelle qui ne dépareroit pas les héros d’Homère. Néanmoins, il faut en convenir, les personnages et les événements sont de trop peu d’importance ; le sujet suffit à l’intérêt quand on le lit dans l’original ; dans la traduction cet intérêt se dissipe. En fait de poëme épique, il me semble qu’il est permis d’exiger une certaine aristocratie littéraire ; la dignité des personnages et des souvenirs historiques qui s’y rattachent peuvent seuls élever l’imagination à la hauteur de ce genre d’ouvrage.

Un poème ancien du treizième siècle, les Niebelungs, dont j’ai déjà parlé, paroît avoir eu dans son temps tous les caractères d’un véritable poëme épique. Les grandes actions du héros de l’Allemagne du nord, Sigefroi, assassiné par un roi bourguignon, la vengeance que les siens en tirèrent dans le camp d’Attila, et qui mit fin au premier royaume de Bourgogne, sont le sujet de ce poëme. Un poëme épique n’est presque jamais l’ouvrage d’un homme, et les siècles même, pour ainsi dire, y travaillent : le patriotisme, la religion, enfin la totalité de l’existence d’un peuple, ne peut être mise en action que par quelques-uns de ces événements immenses que le poëte ne crée