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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

quoi l’on dédaigneroit d’en faire usage. Shakespear a tiré des effets prodigieux des spectres et de la magie, et la poésie ne sauroit être populaire quand elle méprise ce qui exerce un empire irréfléchi sur l’imagination. Le génie et le goût peuvent présider à l’emploi de ces contes : il faut qu’il y ait d’autant plus de talent dans la manière de les traiter, que le fond en est vulgaire ; mais peut-être que c’est dans cette réunion seule que consiste la grande puissance d’un poëme. Il est probable que les événements racontés dans l’Iliade et dans l’Odyssée étoient chantés par les nourrices avant qu’Homère en fit le chef-d’œuvre de l’art.

Bürger est de tous les Allemands celui qui a le mieux saisi cette veine de superstition qui conduit si loin dans le fond du cœur. Aussi ses romances sont-elles connues de tout le monde en Allemagne. La plus fameuse de toutes, Lenore, n’est pas, je crois, traduite en français, ou du moins il seroit bien difficile qu’on pût en exprimer tous les détails, ni par notre prose, ni par nos vers. Une jeune fille s’effraie de n’avoir point de nouvelles de son amant, parti pour l’armée ; la paix se fait ; tous les soldats retournent dans leurs foyers. Les mères retrouvent leurs fils, les sœurs