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CONSIDÉRATIONS

et moi, dans le château de Coppet, avec mes enfans en bas âge. Le jour marqué pour la violation du territoire suisse, nos gens curieux descendirent au bas de l’avenue, et mon père et moi, qui attendions ensemble notre sort, nous nous plaçâmes sur un balcon, d’où l’on, voyoit le grand chemin par lequel les troupes dévoient arriver. Quoique ce fût au milieu de l’hiver, le temps étoit superbe, les Alpes se réfléchissoient dans le lac, et le bruit du tambour troubloit seul le calme de la scène. Mon cœur battoît cruellement par la crainte de ce qui pouvoit menacer mon père. Je savois que le directoire parloit de lui avec respect ; mais je connoissois aussi l’empire des lois révolutionnaires sur ceux qui les avoient faites. Au moment où les troupes françoises passèrent la frontière de la confédération helvétique je vis un officier quitter sa troupe pour monter à notre château. Une frayeur mortelle me saisit : mais ce qu’il nous dit me rassura bientôt. Il étoit chargé par le directoire d’offrir à mon père une sauvegarde ; cet officier très-connu depuis sous le titre de maréchal Suchet, se conduisit à merveille pour nous, et son état-major, qu’il amena le lendemain chez mon père, suivit son exemple.