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CONSIDÉRATIONS

de barons et de comtes qui leur étoient destinés par la suite, et tout annonçoit que leur intérêt personnel seroit le vrai Protée qui prendroit à volonté les formes les plus diverses.

Pendant cette discussion, je rencontrai un conventionnel que je ne nommerai point ; car pourquoi nommer, quand la vérité du tableau ne l’exige pas ? Je lui exprimai mes alarmes sur la liberté. « Oh ! me répondit-il, madame, nous en sommes arrivés au point de ne plus songer à sauver les principes de la révolution, mais seulement les hommes qui l’ont faite. » Certes, ce vœu n’étoit pas celui de la France.

On croyoit que Sieyes présenteroit toute rédigée cette fameuse constitution dont on parloit depuis dix ans comme de l’arche d’alliance qui devoit réunir tous les partis ; mais, par une bizarrerie singulière, il n’avoit rien d’écrit sur ce sujet. La supériorité de l’esprit de Sieyes ne sauroit l’emporter sur la misanthropie de son caractère ; la race humaine lui déplaît, et il ne sait pas traiter avec elle : on diroit qu’il voudroit avoir affaire à autre chose qu’à des hommes, et qu’il renonce à tout, faute de pouvoir trouver sur la terre une espèce plus selon son goût. Bonaparte, qui ne perdoit son temps ni dans la contemplation des idées abstraites, ni