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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

courtisan à l’orientale, qui dut lui persuader que gouverner la terre étoit chose bien facile. Quand sa voiture fut arrivée dans la cour des Tuileries, ses valets ouvrirent la portière et précipitèrent le marchepied avec une violence qui sembloit dire que les choses physiques elles-mêmes étoient insolentes, quand elles retardoient un instant la marche de leur maître. Lui ne regardoit ni ne remercioit personne, comme s’il avoit craint qu’on pût le croire sensible aux hommages mêmes qu’il exigeoit. En montant l’escalier au milieu de la foule qui se pressoit pour le suivre, ses yeux ne se portoient ni sur aucun objet, ni sur aucune personne en particulier ; il y avoit quelque chose de vague et d’insouciant dans sa physionomie, et ses regards n’exprimoient que ce qu’il lui convient toujours de montrer, l’indifférence pour le sort, et le dédain pour les hommes.

Ce qui servoit singulièrement le pouvoir de Bonaparte, c’est qu’il n’avoit rien à ménager que la masse. Toutes les existences individuelles étoient anéanties par dix ans de troubles, et rien n’agit sur un peuple comme les succès militaires ; il faut une grande puissance de raison pour combattre ce penchant, au lieu d’en profiter. Personne en France ne pouvoit croire sa