Page:De Staël – La Révolution française, Tome II.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
295
SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

sieurs fois sur le mérite singulier qu’a eu M. Necker dans ses ouvrages politiques, de prédire les événemens, c’est pour montrer comment un homme très-versé dans la science des constitutions peut connaître d’avance leurs résultats. On a beaucoup dit en France que les constitutions ne signifioient rien, et que les circonstances étoient tout. Les adorateurs de l’arbitraire doivent parler ainsi, mais c’est une assertion aussi fausse que servile.

L’irritation de Bonaparte fut très-vive, à la publication de cet ouvrage, parce qu’il signaloit d’avance ses projets les plus chers, et ceux que le ridicule pouvoit le plus facilement atteindre. Sphinx d’un nouveau genre, c’étoit contre celui qui devinoit ses énigmes que se tournoit sa fureur. La considération tirée de la gloire militaire peut, il est vrai, suppléer à tout ; mais un empire fondé sur les hasards des batailles ne suffisoit pas à l’ambition de Bonaparte, car il vouloit établir sa dynastie, bien qu’il ne pût de son vivant supporter que sa propre grandeur.

Le consul Lebrun écrivit à M. Necker, sous la dictée de Bonaparte, une lettre où toute l’arrogance des préjugés anciens étoit combinée avec la rude âpreté du nouveau despotisme. On y accusoit aussi M. Necker d’être l’auteur