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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

il ne me convient de rappeler que ce qui doit servir au plan général de ce livre. Je devinai, plus vite que d’autres, et je m’en vante, le caractère et les desseins tyranniques de Bonaparte. Les véritables amis de la liberté sont éclairés à cet égard par un instinct qui ne les trompe pas. Mais ce qui rendoit, dans les commencemens du consulat, ma position plus cruelle, c’est que la bonne compagnie de France croyoit voir dans Bonaparte celui qui la préservoit de l’anarchie ou du jacobinisme. Ainsi donc elle blâma fortement l’esprit d’opposition que je montrai contre lui. Quiconque prévoit en politique le lendemain, excite la colère de ceux qui ne conçoivent que le jour même. J’oserai donc le dire, il me falloit plus de force encore pour supporter la persécution de la société, que pour m’exposer à celle du pouvoir.

J’ai toujours conservé le souvenir d’un de ces supplices de salon, s’il est permis de s’exprimer ainsi, que les aristocrates françois, quand cela leur convient, savent si bien infliger à ceux qui ne partagent pas leurs opinions. Une grande partie de l’ancienne noblesse s’étoit ralliée à Bonaparte ; les uns, comme on l’a vu depuis, pour reprendre leurs habitudes de courtisans,